Les accidents de la circulation et la loi BADINTER du 5 juillet 1985
A. Elaboration de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation.
1) Avec seulement une responsabilité engagée sur l’article1384 du Code civil, il s’est avéré que la protection des victimes n’était nullement complète pour plusieurs raisons :
- Déviation de la jurisprudence de sa ligne initiale imprimée par l’arrêt JAND’HEUR pour une extension de plus en plus large des causes d’exonération et des moyens de défense susceptibles de réduire la dette de réparation du gardien du véhicule et par conséquent d’amputer l’indemnisation des victimes par l’assureur (Cf. Cass. Civ. 2ème, 17 décembre 1963, D. 1964, Jur. p. 569, JCP 1965, II n° 14075 : « Le fait même non fautif de la victime pouvait exonérer partiellement le gardien »)
- En cas de rôle passif du véhicule, la notion de « cas fortuit » a été défini de plus en plus largement ce qui a permis aux assureurs de refuser toute réparation à l’occasion d’accidents causés par exemple par la présence sur la route d’une plaque de verglas, d’une flaque d’huile ou autres.
- En outre, et surtout, la faute de la victime a pris des proportions considérables, certains assureurs ayant pris l’habitude de refuser systématiquement une indemnisation intégrale en invoquant une imprudence, une négligence ou même une simple maladresse de la personne lésée. Or les tribunaux ont encouragé cette attitude en admettant facilement l’exonération au moins partielle pour ces prétendues fautes, même dans les cas où elles étaient reprochées à des infirmes, à des vieillards, à des enfants. (Cass. Civ. 2ème, 3 novembre 1971, Bull n° 297, par ex.)
2) L’arrêt de provocation de la loi de 1985 :
Cass. Civ. 2ème, 21 juillet 1982, arrêt DESMARES, GAJC 11ème éd. n° 205, D. 1982, Jur. p.449, JCP 1982, II n° 19861 : « Seul un événement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose instrument du dommage de la responsabilité par lui encourue par application de l’art. 1384 al. 1er que, dès lors, le comportement de la victime, s’il n’a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l’exonérer même partiellement ».
Suppression par cet arrêt de la jurisprudence antérieure et consacrée pendant 50 ans (Cass. req., 13 avril 1934, DP 1934, I p. 41 : « la faute de la victime n’a plus qu’un effet partiellement exonératoire dés lors qu’elle ne revêt pas les caractères de la force majeure. ») sur le caractère partiel de l’exonération en cas de faute de la victime. Il y avait donc un système du tout ou rien : Aucune indemnisation de la victime si sa faute revêtait les caractères de la force majeure, Totale indemnisation dans les autres cas, même en cas de faute d’imprudence de la part de la victime.
Pour parachever la provocation, un arrêt (Cass. Civ. 2ème, 25 janvier 1984, D. 1984, Jur. p. 242) mit fin à la possibilité de se retrancher sur 1382 afin d’obtenir un partage de responsabilité. Lorsque les juges étaient saisis sur 1382 et 1384 al. 1er, ils avaient l’obligation de statuer sur le second en priorité.
3) Sur les difficultés inhérentes à l’articulation entre les autres régimes de responsabilité et la loi du 5 juillet 1985
a) Quatre arrêts rendus entre janvier et février 1987 (Cf. par ex. Cass. Civ. 2ème, 4 février 1987, D. 1987, Jur. p. 187) sont venus lever toute équivoque. Dans ces affaires, la Cour de cassation a en effet censuré les juges du fond au seul motif qu’ils avaient fondé leur décision sur l’art 1384 al 1er du code civil alors que la loi du 5 juillet était applicable au moment ou ils avaient statué. La volonté de la Cour de cassation d’opter ainsi pour l’autonomie est donc certaine .
b) Il y a aussi unification des responsabilités délictuelle et contractuelle en matière d’accidents de la circulation ; la jurisprudence a opté pour l’application exclusive de la loi, en cas de concurrence avec la responsabilité contractuelle.
d) Il existe une loi du 31 décembre 1957 qui reconnaît les tribunaux judiciaires pour connaître des conséquences des accidents causés par des véhicules de l’administration. Application des règles de droit civil pour l’indemnisation des victimes, même, agents de l’état.
B. Les conditions de la loi du 5 juillet 1985 et la souplesse d’un régime d’indemnisation:
1) Des notions nouvelles viennent à la vie juridique, avec une vision extensive qui permet de multiplier les cas d’engagement de responsabilité :
En raison de la volonté d’indemniser le dommage corporel, des mots viennent à la vie juridique implication, véhicule terrestre à moteur (VTAM), circulation, conducteur…, bref, travail d’ingénierie juridique qui se fait pour répondre au dommage corporel.
a) VTAM : Art. 1er de la loi : Cette notion peut donc se définir comme « tout véhicule destiné au transport de choses ou de personnes, circulant sur le sol et mû par une force motrice quelconque » mais elle ajoute en plus une extension pour les remorques et les semi-remorques. Cependant, la loi exclut dans le même temps, « les chemins de fers et les tramways lorsqu’ils circulent sur des voies qui leurs sont propres. » (Cf jurisprudence sur l’application de la loi lorsque le tramway circule dans la rue : Cass. Civ. 2ème, 6 mai 1987, bull n° 92)
b) Implication : Art. 1er de la loi : Aucune définition n’est donnée par le texte de ce terme et aucune autre référence ne peut être recherchée dans le système juridique français, ce concept étant totalement nouveau. Une conception objective prône le retour à l’esprit de la loi pour définir la notion d’implication : sa finalité est de permettre une meilleure indemnisation des victimes, donc, elle doit revêtir une large acception.
Ces dernières années, la jurisprudence a élargi de plus en plus la notion de l’implication (Sorte de consécration de l’équivalence des conditions, dans un domaine où prévaut la causalité adéquate.) :
- Distinction entre le contact qui impose l’implication : (Cass. Civ. 2ème, 25 janvier 1995, GAJC 11ème éd. n° 220-222 : « Est nécessairement impliqué tout véhicule qui a été heurté qu’il soit à l’arrêt ou en mouvement. » ;
- Et l’absence de contact qui n’exclut pas l’implication :
o Cass. Civ. 2ème, 11 avril 1986, JCP 1987, II n° 20672 : « L’absence de contact n’exclut pas nécessairement l’implication. » ;
o Cass. Civ. 2ème, 18 mai 2000, RTD Civ. 2000, p. 853 : implication d’un qui n’avait joué qu’un rôle indirect, dans la mesure où il s’était lancé à la poursuite d’une voiture, en lui faisant de nombreux appels de phare ;
o Cass. Civ. 2ème, 13 juillet 2000, D. 2001, IR p. 225 : Véhicule dont le déclenchement de l’alarme a concouru à l’affolement de chevaux qui s’étant échappé et retrouvé, ont de nouveau été affolé par un camion de pompier et alors sont entrés en contact avec un véhicule ;
o Cass. Civ. 2ème, 24 avril 2003, D. 2003, IR p. 1266 : une balayeuse municipale ayant fait trisser des gravillons sur un trottoir, un particulier sortant de chez lui est tombé sur ceux-ci. Une implication a été retenue, dans la mesure où le véhicule était intervenu, même s’il s’agissait de plusieurs heures avant la chute de la victime.)
- Distinction entre implication et causalité : Notion autonome puisqu’en l’absence de lien de causalité entre la faute et le dommage, l’implication peut être reconnue. (Cass. Civ. 2ème, 11 avril 1986, JCP 1986, II n° 20672)
c) Circulation : Art. 1er de la loi : Extension du domaine de la circulation routière :
Puisque est un accident de la circulation, l’accrochage survenu dans un parking privé ou à l’intérieur d’une propriété privée : Cass. Civ. 2ème, 8 janvier 1992, RTD Civ 1992, p. 401
Et Cass. Civ. 2ème, 7 mai 2002 : Constitue un accident de la circulation, l’accrochage qui s’est produit sur le parking d’une entreprise.
Cependant n’est pas un lieu de circulation l’entrée d’un immeuble : Cass. Civ. 2ème, 26 juin 2003
d) Conducteur : Art. 2, 3, 4, 5 de la loi : Dématérialisation de la qualité de conducteur :
Cass. Civ. 2ème, 29 juin 2000,D. 2000, IR p. 226, JCP 2001, II n° 571, est venue opérer une dématérialisation de la qualité de conducteur : selon elle, un élève d’auto-école n’a pas la qualité de conducteur dés lors qu’il ne dispose pas des pouvoirs de commandement.
Cass. Civ. 2ème, 31 mai 2000, Bull n° 91 : Cependant prend la qualité de conducteur le passager qui se saisit du volant et appuie sur la jambe droit du conducteur afin d’accélérer le véhicule.
Les décisions rendues en cas d’éjection du véhicule viennent également confirmer le critère, puisqu’elles distinguent entre l’accident survenu au cours de l’éjection et celui survenu après la chute ou l’éjection :
Cass. Civ. 2ème, 28 mai 1986, JCP 1986, II n° 20692 ; Cass. Crim. 9 mars 2004, D. 2004, IR p. 1645 : N’est pas conducteur, le motocycliste gisant sur la chaussée à plusieurs mètres de sa moto.
Cass. Civ. 2ème, 4 octobre 1989, JCP 1991, II n° 21600 : Ne perd pas la qualité de conducteur celui qui tombe de son engin et vient, en glissant sur la chaussée heurter un véhicule
Cass. Civ. 2ème, 15 mai 1992, RTD Civ. 1992, p. 775 : Ne perd pas la qualité de conducteur celui qui lors d’une collision avec un camion est éjecté de sa voiture et écrasé par les roues du camion.
a) L’article 2 de la loi du 5 juillet 1985 dispose que « les victimes, y compris les conducteurs, ne peuvent se voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le conducteur ou le gardien d’un véhicule mentionné à l’article 1er »
- Si la victime n’a pas la qualité de conducteur : Dans ce cas, le conducteur ou le gardien du véhicule impliqué ne peut s’opposer au droit à indemnité de la victime, en invoquant l’existence de circonstances de force majeure ou le fait d’un tiers.
- Si la victime est un conducteur : deux cas de figure peuvent se présenter :
o Lorsque le droit du conducteur victime s’exerce à l’encontre d’un autre conducteur. Il s’agit là, de l’hypothèse la plus fréquente dans laquelle deux ou plusieurs véhicules sont impliqués et où chaque conducteur demande réparation à l’autre. Dans ce cas, pas de difficulté, application littérale de l’article 2 de la loi : l’un des conducteurs ou gardiens ne peut s’exonérer en démontrant l’existence d’un cas fortuit.
o En revanche, il en va différemment lorsque le droit du conducteur victime s’exerce à l’encontre d’une personne n’ayant pas la qualité de conducteur. Par exemple, un automobiliste demande réparation de ses dommages à un cycliste qui a heurté son véhicule en ne respectant pas une priorité. Ici, la loi du 5 juillet 1985, est inapplicable puisque seuls les conducteurs peuvent être défendeur à une action aussi favorable pour les victimes. Le conducteur devra donc engager la responsabilité de l’auteur du dommage sur le fondement du droit commun. Ce dernier pourra alors opposer au conducteur la situation constitutive de force majeure.
b) La faute de la victime : (L’erreur inexcusable est empruntée au droit du Travail)
Conformément à la loi, il faut une fois de plus, distinguer selon que la victime est ou n’est pas, un conducteur de véhicule terrestre à moteur :
- En ce qui concerne les victimes non-conductrices, la loi du 5 juillet 1985, dans ses articles 3 et 5, nous montre l’importance accordée à l’attitude fautive de la victime qui va rejaillir sur son droit à réparation. Alors que l’arrêt Desmares avait écarté le caractère partiellement exonératoire de la faute de la victime, la loi de 1985 retient la faute de la victime et prévoit une gradation de cette faute à l’image de ce qui existe en matière contractuelle concernant l’attitude du débiteur responsable.
§ Il y a d’abord la faute simple de l’article 5 qui exclut ou limite l’indemnisation des dommages aux biens.
§ La faute inexcusable qui exclu l’indemnisation du dommage corporel si elle est la cause exclusive de l’accident (article 3 al.1).
§ La faute commise de façon volontaire qui exclut, elle aussi, toute réparation lorsque la victime a volontairement recherché le dommage corporel qu’elle a subi (article 3 al.3).
Ces différentes notions de fautes ont provoqué de nombreuses discussions, notamment la faute inexcusable et la faute volontaire, qui sont depuis l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 1985, les seules causes d’exonération de responsabilité en cas de dommage corporel.
Bien que la loi de 1985 soit favorable à la victime, des discriminations sont à noter, au détriment du conducteur. Parmi celles-ci, on peut noter la jurisprudence relative aux courses automobiles.
Cass. Civ. 2ème, 19 juin 2003 « Les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ne sont pas applicables entre concurrents d’une compétition sportive dans laquelle sont engagés des véhicules terrestres à moteur. »
Il s’agit de la transposition d’une jurisprudence dégagée à partir de l’article 1384 alinéa 1 du Code civil : la victime, participant à une course automobile, connaissait les règles inhérentes à cette épreuve et avait par-là même tacitement renoncé à invoquer contre un concurrent sa responsabilité.
Les auteurs se sont alors interrogés sur le maintien de cette solution sous l’empire de la loi de 1985, alors que celle-ci, selon la Haute Juridiction, est d’ordre public ; cette solution est d’autant plus regrettable que, parallèlement, la Cour de cassation applique les dispositions favorables de la loi aux dommages causés à des spectateurs, alors même que l’épreuve se déroulait sur un circuit fermé. Face à cette discrimination, la jurisprudence a parfois tenté de faire preuve d’équité à l’égard du conducteur, ce qui n’a pas été sans inconvénients pour la victime. Malgré l’objectif certain d’indemnisation des victimes, il apparaît difficilement compréhensible qu’une telle différence de traitement soit appliquée aux conducteurs : la jurisprudence, tout en reconnaissant qu’un accident impliquant un véhicule au cours d’une compétition est bien un accident de la circulation, refuse l’application de la loi de 1985 entre concurrents, et, à ce titre, crée une nouvelle exception contra legem.
Certaines juridictions ont invoqué que la loi de 1985 a pour but exclusif de protéger les victimes, tandis que d’autres se sont fondées sur l’absence de risque anormal. Cependant, on peut objecter au premier argument que, dès lors que l’accident est qualifié de la circulation, le juge ne peut opérer une distinction entre les victimes non prévue par la loi, et au second argument, qu’il s’agit d’un retour inexpliqué au droit commun de la responsabilité. Malgré le maintien de cette solution, les juges ont entendu, parfois, être plus favorables à l’auteur de l’accident.